Intervention lors du débat sur le thème de la décentralisation des politiques publiques agricoles

Deuxième séance du lundi 26 février 2024

Débat sur le thème : « Décentralisation des politiques publiques agricoles »

Intervention d’André Chassaigne 

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Depuis la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi Maptam, les régions sont reconnues comme autorités de gestion des fonds européens agricoles, en particulier en matière de développement rural, deuxième pilier de la PAC.

Cependant, depuis l’an dernier, les conseillers régionaux ont seulement en charge les mesures non surfaciques – installation, investissement agricole et agroalimentaire, forêts, programme Liaison entre actions de développement de l’économie rurale (Leader) –, tandis que les autres dispositifs reviennent à l’État – Maec, conversion en agriculture biologique, indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), gestion des risques et prédation.

Chaque région précise ses propres critères d’éligibilité, ses montants de subventions et leurs éventuelles modifications. Si les régions ont perdu en périmètre de compétences, elles ont gagné en autonomie dans la gestion des mesures qu’elles conservent, notamment en matière de politique d’installation.

L’État a gardé la main sur le paiement de la dotation jeunes agriculteurs (DJA), désormais forfaitaire et uniforme, et qui s’élève à 4 470 euros par exploitation pour une durée maximale de cinq ans – elle est majorée s’il s’agit d’un groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) regroupant plusieurs agriculteurs.

Cette approche est cependant source d’importantes inégalités de traitement. Ainsi, les « investissements bonifiés en faveur des jeunes agriculteurs » (73.17), inscrits dans le plan stratégique national (PSN) de la PAC 2023-2027, n’ont été retenus que par six régions, quand les « investissements productifs on farm » (73.01) non réservés aux agriculteurs nouvellement installés, sont appliqués de manière différenciée.

S’appuyant sur ses propres réalités, chaque région peut ainsi compléter les dispositifs existants par ceux qu’elle choisit de développer – par exemple des aides aux nouveaux agriculteurs qui ne sont pas éligibles à la dotation jeunes agriculteurs. Deux jeunes agriculteurs, dans le même domaine de production, toucheront donc des aides différentes en fonction de la région où ils se sont établis – des exemples concrets m’ont été donnés.

Ne pensez-vous pas que la régionalisation, si elle permet d’adapter les mesures aux préoccupations spécifiques de certains territoires, doit également être soumise à des exigences d’équité et de cohérence générale ? Quelle est votre position sur ces distorsions interrégionales dans l’attribution des aides ?

Mme la présidente. La parole est à M. Loïg Chesnais-Girard.

M. Loïg Chesnais-Girard (Président de la région Bretagne et de la commission Agriculture de Régions de France). Il était primordial de laisser à chaque région la capacité d’inventer des dispositifs d’accompagnement des jeunes agriculteurs. Nous avons débattu avec les JA et les chambres d’agriculture au sujet du niveau des aides. Le piège, c’est de comparer, comme peut le faire la presse, les aides spécifiques versées aux jeunes agriculteurs par les différentes régions ce qui peut conduire à conclure que telle région est meilleure que telle autre.
Or les aides à l’investissement réservées aux jeunes agriculteurs dans les cinq premières années sont également différentes selon les régions, ainsi que les accompagnements sous forme contractuelle, qui forment un troisième niveau d’accompagnement.
Il faut donc comparer l’accompagnement des jeunes agriculteurs par les régions pendant les cinq premières années – c’est ce que j’ai dit au président de Chambres d’agriculture France, Sébastien Windsor, et c’est ce que nous ferons avec les chambres d’agriculture et les régions.
Nous verrons alors que nous nous adaptons à nos systèmes agricoles, qui sont, je le répète, différents, pour accompagner nos agriculteurs en fonction de situations locales contrastées. Voilà ma vision des choses, qui suppose un socle national négocié entre l’État et les régions, mais aussi une liberté pour les régions d’innover et de s’adapter aux territoires dans le dialogue avec les différents partenaires, chambres d’agriculture mais aussi représentants syndicaux des diverses obédiences du monde agricole.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Guignand.

M. Gilbert Guignand (Secrétaire adjoint de Chambres d’agriculture France et président de la chambre régionale d’agriculture Auvergne-Rhône-Alpes). Aujourd’hui, une partie des aides versées aux jeunes agriculteurs est financée par les régions. Mais il ne faut pas négliger la dimension réglementaire d’une installation, pour laquelle nous avons encore besoin des services de l’État, les aspects sanitaires et les mises aux normes, qui relèvent toujours des directions départementales des territoires (DDT). Nous devons donc trouver un équilibre entre les administrations départementales et régionales : à certains endroits, tout se passe bien, mais le degré de concertation entre les deux pôles est très variable, ce qui rend la situation actuelle complexe.

Il y a un sujet que nous n’avons pas encore abordé, c’est la question sanitaire, aussi bien animale que végétale, qui constitue d’après moi une bombe à retardement. Or, là aussi, il existe des règles et des lois. Comme le président Chesnais-Girard l’a dit, il faut que les régions travaillent en bonne intelligence avec l’État, notamment avec les Draaf, pour aboutir à des conciliations et pour que les dossiers agricoles ne prennent pas de retard.

Vous connaissez aussi bien que moi les délais qu’implique la construction d’un bâtiment agricole. Nous parlons tous de simplification administrative, de réduction des délais et de compétitivité, mais je tiens à souligner que, dans des pays proches du nôtre comme l’Allemagne, on peut monter un dossier bien ficelé en six mois, alors qu’en France il faut pratiquement deux ans, voire deux ans et demi !
Pour améliorer la compétitivité de notre agriculture, il y a là aussi des choses à changer. Je pense que…

Mme la présidente. Je suis obligée de vous interrompre afin de respecter le format convenu pour nos échanges, mais vous aurez sûrement l’occasion de rebondir sur ce point, lors d’une prochaine question.

[…]

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Une grande partie de la PAC est pilotée par l’État. Les dispositifs déployés par l’État, et financés par l’Agence de services et de paiement dont vous avez auditionné le directeur général tout à l’heure, garantissent l’égalité de toutes les exploitations. C’est à l’État de respecter les délais de paiement, d’instruire les dossiers dans les délais impartis, et de simplifier l’accès à ces différents dispositifs. Il existe des marges d’amélioration, nous sommes en train d’y travailler.
Les délégations aux régions sont le résultat d’un travail réalisé en concertation avec elles, en vue de déterminer les fonctions qui relèveraient le plus de leurs compétences. Nous les assumons.
Au Salon de l’agriculture, plusieurs jeunes agriculteurs, dont l’exploitation se situe parfois dans des territoires à cheval sur deux régions, m’ont indiqué bénéficier des aides de la région la moins généreuse ; ils ont le sentiment d’être maltraités par rapport à ceux qui travaillent de l’autre côté de la frontière régionale. L’essence même de la décentralisation est la définition d’une vision politique pour un territoire par des collectivités locales qui l’appliquent. Si l’on veut la décentralisation avec un portage et une vision politiques, il faut assumer l’existence d’une différenciation territoriale. Il y a là un point d’équilibre. Sans cela, on peut toujours promouvoir des politiques au niveau national en courant le risque de les standardiser sans réaliser de différenciation. De manière un peu taquine, je vous renvoie donc la question. Il faut faire vivre cette PAC avant d’en tirer des conclusions trop hâtives.

[…]

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Je suis un peu désemparé, car votre introduction ne correspondait pas tout à fait au thème du débat : la décentralisation des politiques agricoles en lien, notamment, avec les régions.
En revanche, vous avez déjà répondu à la question que je voulais poser sur les distorsions d’aide à l’installation d’une région à une autre.
Je vais donc, comme vous, m’éloigner du sujet. (Sourires.) Beaucoup d’annonces ont été faites à la suite de la colère exprimée par les agriculteurs. Mais on sait bien que le Gouvernement risque de se cogner le nez à la vitre de l’Union européenne. Certes, les plans stratégiques nationaux, qui déclinent la politique agricole commune et s’inscrivent dans les cadres très stricts de l’Union européenne, peuvent être légèrement révisés d’une année sur l’autre si l’on constate une inadéquation entre ce que l’État a prévu et ce qu’il aurait pu faire pour mieux répondre aux attentes – en d’autres termes, on peut apporter une rectification si l’on s’est planté.
Mais de là à reprendre une mesure que j’ai proposée à trois reprises au cours des vingt dernières années dans le cadre de la niche parlementaire de mon groupe et qui a été invariablement repoussée au motif qu’elle était d’inspiration bolchevique, qu’elle participait d’une économie administrée et qu’elle méconnaissait le droit de la concurrence ! Je veux, bien entendu, parler des prix planchers, qui ont été évoqués par le Président de la République.
Ce n’était pas du tout l’effet d’une sorte de clause miroir (Sourires), mais je me suis demandé comment il allait faire. Depuis vingt ans, on m’explique que c’est une mesure bolchevique impossible à mettre en œuvre, et voilà que le Président de la République nous dit désormais que c’est faisable !

M. Alain David. Il est converti ! (Sourires.)

M. Bertrand Pancher. Exactement !

M. André Chassaigne. Comment une telle mesure peut-elle s’appliquer sans fausser la libre concurrence chère à l’Union européenne ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. S’agissant de votre première question, je me suis concentrée sur la seconde partie du thème de notre débat, à savoir « simplifier, adapter et mieux associer les territoires ». Peut-être aurais-je dû me focaliser sur la décentralisation.

M. André Chassaigne. C’est le groupe LIOT qui n’a pas été clair !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Je ne sais pas. Je crois plutôt qu’un tel thème peut être abordé de différentes manières et que nous ne nous sommes pas attachés au même aspect – peut-être est-ce révélateur de quelque chose, du reste.
Quant aux prix planchers, ils sont, au fond, un prolongement des lois Egalim. Celle de 2023, la loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite Egalim 3, prévoit des index de référence définis par les interprofessions, index qui sont un des éléments pouvant servir à la construction des contrats, à la « marche en avant » et à la prise en compte du coût de la matière première agricole. Nous estimons que l’on doit pouvoir aller plus loin, de sorte que ces index permettent une réelle prise en compte du coût de la matière première dans les contrats agricoles.
Il ne s’agit donc pas d’instaurer des prix administrés, définis par l’État. L’index de référence restera fixé par l’interprofession, sur la base des coûts de production, au terme d’une discussion en son sein. Il doit inciter cette dernière à renforcer la contractualisation. Dans le secteur du lait, par exemple, on observe que 90 % des volumes et 70 % des exploitations sont contractualisés. Un travail important a donc été réalisé. On entend parler, à juste raison, de ce qui ne fonctionne pas, mais le fait est qu’une part des volumes est contractualisée dans de bonnes conditions, sur la base de l’index de référence.
Nous estimons qu’il faut aller plus loin dans ce domaine ; c’est pourquoi la mesure envisagée nous semble compatible avec le droit européen et ne correspond probablement pas à la proposition que vous avez défendue à plusieurs reprises.

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