Besoins et moyens de l’hébergement d’urgence en France

Besoins et les moyens de l'hébergement d'urgence en France

Besoins et moyens de l'hébergement d'urgenceBesoins et moyens de l'hébergement d'urgence

Mme Maud BIGOT

Présidente

Fédération Nationale des Samu Sociaux

Madame la Présidente,

Je fais suite à votre courrier concernant le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 dans son programme 177 consacré à l’hébergement, au logement et à l’accompagnement des personnes sans domicile.

L’examen du PLF pour 2024 a débuté dans un contexte où notre pays doit faire face à une situation sociale désastreuse et où de plus en plus de personnes se retrouvent à la rue. Un triste record a d’ailleurs été battu en octobre 2023 avec près de 3 000 enfants dormant dehors, les demandes de leurs parents ayant été refusées au 115 par manque de place. Nous ne pouvons pas nous résigner à cette situation. La France doit réagir et se donner les moyens de faire face ; elle doit aussi avoir le courage politique de faire les bons choix. Or, tout montre qu’en la matière, le Gouvernement est particulièrement insincère.

Tout d’abord, il a annoncé une suppression de places d’hébergement d’urgence, avant de faire marche arrière. Le maintien de 203 000 places a donc été reçu avec soulagement.  Toutefois, nous savons tous que ce maintien ne sera pas suffisant pour faire face à l’explosion des demandes de mise à l’abri. Aux cris d’alarme, le Ministre délégué au Logement a répondu qu’il préférait privilégier le plan pour le Logement d’Abord qui prévoit des créations de places « en intermédiation locative ou en résidences sociales ». En attendant, des familles et des enfants dormiront dehors. Alertés par différents acteurs du secteur, le groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine (GDR), que je préside, et l’ensemble des groupes de gauche ont déposé des amendements visant à créer 10 000 places supplémentaires. Mais suite au 49-3, le Gouvernement n’a pas souhaité conserver ces 10 000 places qui avaient pourtant été votées par l’Assemblée et le Sénat.

Ensuite, les crédits pour 2024 sont inférieurs à ceux de 2023, alors que le secteur demandait un doublement des moyens du BOP 177 pour répondre à l’ensemble des besoins. Dans un contexte où les expulsions locatives sont à la hausse, en raison notamment de la vie chère et de l’augmentation des coûts de l’énergie, c’est irresponsable. D’autant qu’à la précarisation, il faut ajouter une crise du logement elle aussi inédite. Le chiffre de 2,4 millions de ménages en attente d’un logement HLM doit être pris pour ce qu’il est : le signe clinique qu’une part croissante de la population ne parvient plus à se loger dans des conditions décentes et à un prix abordable. Cette crise du logement est une véritable bombe sociale. Jamais la France n’a construit aussi peu de logements et les prévisions sont catastrophiques. Alors qu’ils devraient produire davantage de logements sociaux, les organismes HLM doivent supporter la charge financière de la taxe mal nommée « réduction de loyer de solidarité », de l’ordre de 1,3 milliard par an, du relèvement de la TVA et de l’augmentation du taux du livret A. Là aussi, il y a urgence à ce que le Gouvernement prenne des mesures de soutien à la production de logements sociaux. Quant aux locations de meublés de tourisme, qui sont également un des facteurs de la crise du logement, nous venons d’adopter une proposition de loi qui s’attaque au problème, notamment en remettant en question le régime fiscal outrageusement avantageux des locations de meublés touristiques.

Enfin, vous abordez la question de l’accompagnement des migrants et en particulier, de la régularisation des travailleurs sans papiers. Vous savez comme moi que la question de l’immigration anime actuellement le débat politique et malheureusement, de la pire des manières qui soit. Au lieu d’une approche raisonnée, nous avons assisté à une surenchère autoritaire, anti-migratoire et d’atteinte aux droits fondamentaux. Avec l’adoption de la motion de rejet de son texte, le Gouvernement aurait dû retirer définitivement son texte. Il a préféré le maintenir et convoquer une Commission Mixte Paritaire (CMP), prêt à se livrer aux compromissions les plus funestes. Je suis évidemment inquiet de l’application de la loi telle qu’elle a été adoptée ce 19 décembre. Je suis également inquiet des traces que laissera le débat qui a eu lieu autour de ce texte. Car celui-ci a installé un climat de haine, raciste et xénophobe propice aux violences et à la montée de l’extrême-droite. Il a créé des clivages qui se sont inscrits durablement dans les esprits. À force de dire que l’immigration est responsable de tout, le citoyen a fini par le croire.

Dans le texte issu de la CMP, un article est presque passé inaperçu. Il s’agit de l’article 19 ter A qui exclut du droit à l’hébergement d’urgence les étrangers visés par une OQTF, sauf situation de détresse grave. Cette disposition va mettre des centaines de personnes à la rue. Comment peut-on accepter cela ?

En ce qui concerne la régularisation des sans-papiers, la loi n’apportera rien de plus, contrairement à ce que le Gouvernement veut nous faire croire. Aujourd’hui, environ 10 000 travailleurs sans papiers sont régularisés sur une année. Avec la loi, le Gouvernement a estimé ce nombre à 7 000 par an, soit moins qu’actuellement.

Vous le dites très justement : « les solutions sont à portée de choix politique. » C’est exactement ce que nous pensons au groupe GDR. Aussi, soyez assurée que nous ne renoncerons pas et que nous suivrons avec une attention toute particulière l’évolution de la question du sans-abrisme en France. À ce titre, nous n’oublions pas que le Conseil d’État a jugé que le non-respect du droit à l’hébergement d’urgence porte gravement atteinte à une liberté fondamentale, rappelant par la même occasion les obligations de l’État en la matière.

Restant à votre disposition pour toute information complémentaire, je vous prie de croire, Madame la Présidente, en l’expression de mes sentiments les meilleurs.

André CHASSAIGNE

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