Souveraineté en matière agricole et renouvellement des générations en agriculture
Commission mixte paritaire
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi
[…]
Motion de rejet préalable
[…]
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne (GDR). Madame la ministre, madame et monsieur les rapporteurs, je voudrais vous décerner un diplôme, celui de la magie verte. Quatre heures de débat en CMP deviennent « six heures » ; déconstruction du texte de l’Assemblée nationale devient « consolidation du texte » ; conduire la société à diaboliser les agriculteurs devient « rendre le métier désirable » ; un texte de l’Assemblée nationale complètement plombé, après une capitulation en rase campagne, devient « un texte de compromis ». (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.) L’impossibilité de défendre la quasi-totalité des amendements de l’opposition en CMP devient « l’examen de dizaines d’amendements, voire de centaines ». La bataille conduite pour maintenir des objectifs pour l’agriculture bio devient « victoire des rapporteurs ». (Sourires.) L’appauvrissement des formations en agroécologie devient « enseignement agricole régénéré ». Quand nous soulignons la régression environnementale, vous répondez « plantation de haies ». Alors que la voix de notre assemblée est étouffée, bafouée, voire ridiculisée, vous parlez de « respect de l’État de droit ».
C’est au nom du droit à légiférer dignement que le groupe GDR votera la motion de rejet préalable. (Les députés des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR se lèvent et applaudissent.)
M. Édouard Bénard. Bravo !
[…]
Discussion générale
M. le président. Avant de donner la parole aux deux derniers orateurs de la discussion générale, je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce projet de loi, dans le texte de la CMP, ferait l’objet d’un scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Après de longs mois d’attente, de colère ininterrompue du monde paysan, ce projet de loi touche au but ; mais comment ne pas dénoncer les conditions dans lesquelles il achève son parcours ? L’impératif qu’il soit bouclé avant le Salon de l’agriculture, comme s’il s’agissait d’un laissez-passer permettant de circuler sereinement dans ses allées (Sourires et applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS), renvoie à une image dévalorisante (M. Dominique Potier applaudit) du monde agricole, qui contraindrait les parlementaires à légiférer le pistolet sur la tempe. Quant à la réunion de la CMP, on pourrait la mettre en bocal, comme spécimen de dérive antidémocratique ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS.) La vérité, c’est que nous avons été réduits à beurrer les sandwichs par la volonté des quatre rapporteurs – les nôtres et ceux du Sénat – de ne pas modifier une ligne du texte qu’ils avaient élaboré sous l’emprise d’un maître du jeu inébranlable, attaché à ne pas plomber son idéologie dévastatrice. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – M. Dominique Potier applaudit également.) Des débats sans débats, une CMP qui n’en avait que le nom, tenue sous une chape de plomb sénatoriale, et l’approbation servile de la plupart des représentants de notre assemblée ! (Mêmes mouvements. – M. Édouard Bénard applaudit également.)
En première lecture, la grande majorité du groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’était abstenue lors du vote. Le texte issu de nos débats ne correspondait pas aux grands enjeux d’une agriculture française qui décroche depuis dix ans et ne parvient plus à assurer la relève des générations ; il ne relevait pas le défi de l’accès au foncier, de la lutte contre un accaparement des terres qui nuit à l’agriculture à taille humaine ; il ne permettait pas aux éleveurs, fragilisés, de surmonter leur découragement ; il ne prenait pas en compte la spécificité des territoires ultramarins, l’urgence d’accroître leur autonomie alimentaire en développant l’agriculture locale ; il ne répondait pas à la question des prix rémunérateurs, essentielle pour cette profession où l’on peut travailler 70 heures par semaine et gagner moins que le smic ; il n’abordait pas le sujet des traités de libre-échange qui attaquent notre modèle agricole. (MM. Édouard Bénard et Benoît Biteau applaudissent.)
Le ministre de l’époque le sait : nous avions défendu ce qui pouvait l’être, permis ou accompagné quelques avancées, par exemple une certaine ambition pour l’agriculture biologique, rejeté l’introduction massive de fonds d’investissement privés dans l’agriculture par le biais des groupements fonciers agricoles d’investissement. Ce n’était pas le texte que nous voulions, mais nous avions fait porter à son crédit la prise en compte des difficultés d’installation des jeunes agriculteurs, avec la création des guichets France Services agriculture, ou quelques perspectives supplémentaires données à l’enseignement agricole. Malheureusement, plutôt que de poursuivre dans le bon sens, le Sénat, suivi d’une CMP à sa botte, a initié une dérive dangereuse en établissant un clivage entre agriculture et écologie.
L’article 6, qui concerne la formation, mettra ainsi à mal les enseignements portant sur l’agroforesterie ou la transition agroécologique ; l’article 13 prévoit une dangereuse régression du droit environnemental, une déréglementation dont les années ne manqueront pas de révéler les effets contraires à l’intérêt général. De plus, nombre de dispositions partent du postulat que la planche de salut de notre agriculture serait la recherche de compétitivité à tout prix, et visent à intensifier la productivité au mépris de contraintes réglementaires, voire de préconisations scientifiques.
C’est le cas de l’article 9 qui incite, de fait, à la spécialisation, au nom de la viabilité économique et au détriment de la souveraineté alimentaire et de l’agronomie.
Enfin – et c’est le seul semblant de débat que nous avons eu au cours de la CMP –, le Sénat a tenté de faire revenir par la fenêtre les GFAI, par le biais d’investisseurs privés ; opération partiellement rejetée, grâce à une formule alambiquée mêlant fonds publics et fonds privés, dans un amphigouri qui n’augure rien de bon !
Chacun aura compris que notre vote ne sera pas celui de la première lecture. Les députés communistes et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine assumeront avec responsabilité le rejet du texte dans les allées de cet emblématique événement qu’est le Salon de l’agriculture, qui rassemble les passionnés de la terre et leurs soutiens indéfectibles. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS. – M. le rapporteur applaudit également.)
[…]
Vote sur l’ensemble
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, tel qu’il est issu de la commission mixte paritaire, modifié par les amendements qui viennent d’être adoptés.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 531
Nombre de suffrages exprimés 529
Majorité absolue 265
Pour l’adoption 369
Contre 160
(Le projet de loi est adopté.)
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN, EPR, DR, Dem, HOR, LIOT et UDR.)