Intervention en Commission des Affaires européennes lors de l’examen du rapport d’information sur l’évolution du marché des crédits carbone au niveau européen (M. Alfandari), le mercredi 7 février 2024.

Commission des Affaires européennes – 7 février 2024

Examen du rapport d’information sur l’évolution du marché des crédits carbone au niveau européen (M. Alfandari)

Intervention d’André Chassaigne

Je voudrais saluer la qualité du rapport qui nous est présenté aujourd’hui.

Je ne peux que partager les conclusions du Rapporteur, que ce soit sur son appréciation sévère, mais ô combien objective de l’efficacité du marché carbone européen et de son projet de réforme, ou sur les risques inhérents à un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières vis-à-vis de l’industrie européenne et française.

Je porterai dans cet échange, deux remarques :
La première concerne l’alignement permanent de la politique européenne sur la doxa libérale de l’OMC, au point d’en être son porteur de carbone permanent. Ce dogmatisme libéral annihile, dans les faits, toute capacité à mettre en place des systèmes ou des mécanismes efficaces pour réindustrialiser notre pays et l’UE tant en décarbonant notre industrie. Les critiques du Rapporteur sur le risque majeur de contournement et d’adaptation des grands groupes transnationaux et des pays tiers au nouveau mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) en sont le meilleur exemple. Les instruments choisis ne sont pas les bons, pour la simple et bonne raison que le capital européen a pesé de tout son poids pour ne pas être entravé dans sa liberté de poursuivre ses stratégies financières, stratégies assises sur les délocalisations industrielles dans les pays à bas coûts de main d’œuvre et les importations de produits finis. On ne peut pas continuer à vouloir décarboner sans s’attaquer à la financiarisation et au coût du capital dans la gestion de nos entreprises industrielles. Je salue d’ailleurs votre proposition d’instaurer un mécanisme bien plus simple, fondé sur une taxation à l’entrée sur le marché européen basée sur le mix énergétique et électrique du pays d’origine. Son efficacité n’aurait d’égal que son incompatibilité avec le droit de l’OMC. La simple raison climatique nous appelle pourtant à franchir le pas au plus vite.

Ma deuxième remarque porte sur l’enjeu déterminant de l’électrification rapide des process de production de notre industrie. Plutôt que de poursuivre dans la voie aussi obsessionnelle qu’inefficace des outils de la finance carbone, le levier prioritaire devrait être celui de l’incitation à l’électrification de tous les usages actuels, avec la maîtrise et la sécurisation des prix de l’électricité pour nos consommateurs industriels. Si comme on le dit souvent, l’électricité est l’industrie de l’industrie de demain, alors il faut sécuriser les industriels sur le long terme, avec des prix règlementés et bas, et des électrons décarbonés. Quitte à paraphraser Ricardo pour vous essayer de vous convaincre, il faut que les industriels soient incités au plus vite à bénéficier de l’avantage comparatif majeur que constitue une électricité décarbonée à des prix stables sur longue période, inférieurs aux prix du pétrole, au gaz ou au charbon dans la détermination des coûts de production. Nous savons tous que le mix électrique français peut être pour cela un atout considérable pour peu que l’on ne se laisse pas séduire pas les sirènes de la libéralisation aveugle ou de l’abandon d’une filière aussi essentielle que notre industrie électronucléaire. Cela ne surprendra personne, mais je suis plus que jamais convaincu que nous n’y arriverons pas sans la reconstruction d’un grand service public de l’énergie, autour d’EDF et d’ENGIE renationalisés, et la sortie de l’électricité des mécanismes de marché européens.

Je vous remercie.

Partager l’article

Voir aussi sur le même sujet